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École normale supérieure

     
2005 - 2006

Peter Galison


Professeur d’histoire et de philosophie des sciences à l’université de Harvard

« Images et objets scientifiques », les jeudis 17 novembre, 24 novembre, 8 décembre, 15 décembre de 17h.30 à 19h.30.

17 novembre, en salle Paul Lapie au 29 rue d’Ulm : L’assassin de la relativité

Einstein entretint une amitié personnelle et scientifique avec Friedrich Adler. Ils firent ensemble leurs études universitaires, partagèrent la même maison, et, quand Adler gagna contre Einstein un poste de physique à l’université de Zurich, il le refusa en faveur du jeune commis aux brevets. En octobre 1916, Adler s’empara d’un pistolet Browning et assassina le comte Stuergkh, premier ministre de l’empire austro-hongrois. Einstein courut à sa défense. Tandis que Adler se morfondait en prison dans l’attente de la pendaison, il entretint avec Einstein une extraordinaire correspondance, et écrivit deux livres couvrant d’immenses domaines, tant épistémologiques que physiques ou politiques. Comprendre le dialogue Adler-Einstein, leurs désaccords, leurs sympathies, éclaire d’un jour nouveau non seulement le chemin que ne prit pas Einstein, mais encore le mélange détonnant de Mach-isme, de Marxisme, et de théorie de la relativité qui a tant transformé le XXe siècle.

24 novembre en salle Paul Lapie au 29 rue d’Ulm : Représenter l’objectivité

Quand l’objectivité scientifique devint un but, au début du XIXe siècle, rien ne fut absolument évident. Les « philosophes de la nature » (physiciens, médecins, biologistes..) durent inverser les vieilles vertus épistémiques qu’impliquait auparavant la recherche des formes idéales planant derrière les variations de tel ou tel individu. Là où le génie dominait, l’observation claire et nette s’imposa. Nous tenterons ici de traquer la manière dont les atlas aidèrent à définir la catégorie scientifique moderne d’objectivité mécanique, et le nouveau « moi » scientifique, apaisé et transparent, qui s’ensuivit. Mais la roue de l’objectivité continua de tourner : les scientifiques du XXe siècle remirent en question l’objectivité mécanique basée sur l’image ; ils exigèrent plus d’interprétation et de modification des images que l’objectivité mécanique ne permettait. Avec ce changement dans l’objectivité, naquit une nouvelle définition du bon « moi » scientifique, faisant désormais explicitement appel à l’intuition, à l’expertise et à l’inconscient.

8 décembre, en salle de conférences au 46 rue d’Ulm : L’ontologie de l’ennemi et le moi cybernétique

Dans les deux dernières conférences, je me tournerai vers la façon dont les objets et les instruments scientifiques façonnent le soi scientifique aussi bien qu’ils le présupposent. Nous commencerons par une discussion de ce qu’un tel « matérialisme historique », ou « transcendantal », pourrait être, en utilisant l’intérêt philosophique pour l’architecture du Bauhaus manifesté par le Cercle de Vienne d’une part, et les fameuses taches d’encre de Hermann Rorschach d’autre part. Qu’est-ce qui est présupposé quant au soi par ces deux exemples ? Cependant, la conférence sera principalement centrée sur le pistolet électrochimique de défense anti-aérienne de Norbert Wiener, conçu à partir d’un processus de rétroaction. Cet exemple permettra de sonder les origines de la cybernétique et d’explorer la nature du soi qui est requis par les objets de la cybernétique. Qu’est-ce que l’intention, après tout ? Est-ce la fabrication même du moi fondé sur la volonté qui a si longtemps dominé « das Ich » ? Comment Wiener a-t-il pu vouloir remplacer cette intentionnalité par les boucles d’une simple machine ?

15 décembre, en salle de conférences au 46 rue d’Ulm : Terrains vagues et terres sauvages

Dans cette dernière conférence, je me tournerai vers la matérialité de la Terre à l’âge de l’intervention technologique intense. Tels qu’ils sont généralement compris, les « terrains vagues nucléaires » et les « terres purement sauvages » sont des notions opposées ; lorsqu’elles convergent sur les sites où les armes nucléaires inutilisées sont entreposées, nous décrivons souvent cette circonstance comme « paradoxale » ou « ironique ». Après avoir fait le point sur les projets visant à faire quelque chose des terrains saturés de toxines isotopiques pour 25 000 ans, j’affirme que dans ce cas les catégories de « terrains vagues » et de « terres sauvages » sont loin d’être dichotomiques, et que leur relation est bien plus perturbante que celle, binaire, entre pureté et corruption. Préempter des morceaux de la Terre pour toujours – pour les sanctifier ou les piller –, c’est transformer un élément central du soi humain, et nous mettre dans une relation différente au monde physique, et c’est poser des questions irréductibles sur qui nous sommes.