
« L’imagination au pouvoir, ou : Le voyage du cardinal de Retz à Athènes et Berlin », in Le regole della ragione. Studi in onore di Mariafranca Spallanzani, dir. D. Donna et M. Rueff, Bologne, Mucchi, 2023, p. 85-92.
Dans Friedrichshain, un des rares quartiers alternatifs qui existent encore à Berlin, j’ai vu en août 2021 une affiche en noir et blanc. Cette affiche constitue le point de départ improbable d’un dialogue imaginaire avec Mariafranca Spallanzani, qui a été une amie fidèle depuis que je l’ai rencontrée à Strasbourg.
De haut en bas, vient tout d’abord sur cette affiche le slogan principal : « Profite du jour où les états d’exception s’effondrent pour instituer, contre le virus de l’autorité, des quartiers ingouvernables ». Au milieu, on perçoit des images confuses de luttes entre forces de l’ordre et manifestants. En bas enfin, un passage des Mémoires du cardinal de Retz est traduit en allemand :
« Le Parlement n’est-il pas l’idole des peuples ? Je sais que vous [le prince de Condé] les comptez pour rien, parce que la cour est armée ; mais je vous supplie de me permettre de vous dire qu’on les doit compter pour beaucoup, toutes les fois qu’ils se comptent eux-mêmes pour tout. Ils en sont là : ils commencent eux-mêmes à compter vos armées pour rien ; et le malheur est que leurs forces consistent dans leur imagination : et on peut dire avec vérité qu’à la différence de toutes les autres sortes de puissance, ils peuvent, quand ils sont arrivés à un certain point, tout ce qu’ils croient pouvoir » (Mémoires, tome VIII, p. 487).
Au terme de quelle histoire ce passage du Cardinal de Retz, extrait d’un long discours tenu au Prince de Condé pour le convaincre de ménager le Parlement, dans la mesure où ce dernier avait la capacité de modérer ou d’attiser la colère du Parlement, a-t-il pu se retrouver sur une affiche anarchiste berlinoise ? Ce chapitre montre que la réponse à cette question en passe par les communautés anarchistes athéniennes du temps des Colonels, mais aussi par les écrits de Guy Debord.