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L’historicité des sciences comme problème chez Canguilhem


« L’historicité des sciences comme problème chez Canguilhem », in Bachelardismes et anti-bachelardismes. Controverses épistémologiques des années 1960, L. Fabry et S. Roux dir., Paris, Classiques Garnier, 2025, p. 77-133.

L’épistémologie historique de Canguilhem a parfois été caractérisée par la volonté d’informer la philosophie des sciences par l’histoire des sciences. Cette caractérisation n’est pas fausse, mais elle est insuffisamment déterminée si on ne précise pas en quoi l’histoire des sciences est historique. Ou encore, pour reprendre Canguilhem lui-même, si on ne répond pas à la question principielle de savoir de quoi l’histoire des sciences est l’histoire. Cela m’amène à poser ce qu’on peut appeler le problème de l’historicité des sciences chez Canguilhem.

La première section de ce chapitre montre que, en même temps que les premiers bachelardiens, et en particulier Canguilhem, érigeaient la récurrence bachelardienne en méthode distinctive, ils établissaient que, si elle était prise au sens strict, elle rendait par principe difficile, voire impossible, la pratique de l’histoire des sciences. Par manière de préambule, il s’agit de commencer à défaire la fausse évidence d’après laquelle Canguilhem aurait été un héritier de Bachelard étendant la méthode de ce dernier à un nouveau domaine.

En mesure après cela de prendre un meilleur départ, j’explicite dans la deuxième section les raisons pour lesquelles Canguilhem affirmait, de manière au premier abord un peu romantique, que l’histoire des sciences doit être écrite comme une aventure. Cela me conduit à remarquer que, contrairement à ce qu’il en est chez Bachelard, l’histoire des sciences chez Canguilhem, loin d’emprunter ses normes aux scientifiques, est en un certain sens une histoire des savants qui se décident à prendre parti en instituant ce que j’appelle des normes normantes. À la fin de cette section, je propose une interprétation nouvelle d’un passage fameux, selon lequel Galilée ne disait pas le vrai tout en étant dans le vrai : je m’appuie pour cela sur une distinction entre la doctrine de Galilée et son action.

Dans la troisième section, j’établis plus généralement que la source du progrès scientifique est selon Canguilhem l’excès des actions d’un savant par rapport à ses connaissances. À l’origine de toute découverte, il y a en effet selon lui quelque chose de l’ordre de l’action, en entendant par là ce qui marque l’irruption de la nouveauté dans le monde et qui est accompli dans une forme d’ignorance et au risque de l’échec. Je souligne qu’une dualité constitutive se manifeste ici, que Canguilhem a mise en place dès les années trente mais dont il a fait varier les points d’ancrage : cette dualité lui fait par exemple défendre d’autres thèses sur les rapports entre science et technique que celles de Bachelard et de Bergson.

Toute véritable action étant libre en tant qu’elle introduit une nouveauté imprévisible dans le monde, la quatrième section explore la manière dont Canguilhem a pensé l’action libre dans les hommages qu’il rendit à Cavaillès pendant un demi-siècle.

La convocation insistante de la figure de Spinoza dans ces hommages me conduit finalement, dans la cinquième et dernière section, à m’interroger sur le spinozisme de Cavaillès, à montrer qu’il y a derrière le Spinoza affiché un Descartes caché, et ainsi à soutenir que, aussi paradoxal que cela puisse paraître au premier abord, la structure et les termes du problème de l’historicité des sciences étaient identiques chez Canguilhem et Cavaillès.

 

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