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École normale supérieure

     
2009 - 2010

Yasuhiko SUGIMURA


Le Centre International d’Etude de la Philosophie Française Contemporaine et le Département de Philosophie de l’Ecole normale supérieure sont heureux de vous inviter au Cours et aux deux Conférences que dispensera le professeur Yasuhiko SUGIMURA de l’Université de KYOTO pendant son séjour en tant que Professeur invité en Mai 2010.

Vous en trouverez ci-dessous le programme, argument et bibliographie, les heures et lieux.

M. Sugimura proposera une permanence dans un bureau du Département de Philosophie, pendant une heure, après chacune des séances de cours indiquées ci-dessous, ou sur rendez-vous.

Pour tout renseignement : Secretariat.philosophie@ens.fr 

1. Cours  :

Ricoeur et Derrida dans le contexte de la philosophie du « témoignage »

Les Mercredis 5, 12 et 19 Mai 2010, salle des Actes, 14h30 - 16h30

L’échange des idées à la fois critique et amical de leur dernière période montre que le rapport entre Ricoeur et Derrida ne peut plus être conçu comme une simple opposition entre la réappropriation herméneutique et la dissémination déconstructive, entre la métaphore vive ou revivifiante, et la métaphore usée qui n’arrête pas de mourir. A travers la relecture systématique et critique de Heidegger développée par l’un et l’autre dans les années 80 et 90, ils ont commencé à se présenter, chacun à sa manière, comme penseur d’une aporétique fondamentale qui pourrait paralyser l’acte même de philosopher. Comment redresser, ou plutôt faire survivre la pensée tout en se situant au sein des apories menaçant la philosophie elle-même, apories qui s’imposent à notre époque avec des problématiques comme celles portant sur « la vie et la mort » et « le mal et le pardon » en particulier ? Tel est l’enjeu philosophique que Ricoeur et Derrida partagent dans les parcours croisés de leurs dernières années. Afin de bien apprécier la portée de ce croisement essentiel, il convient de prêter l’attention à l’idée de témoignage. Cette idée s’origine chez eux dans la réinterprétation transformatrice ou même déformatrice de l’idée heideggerienne de l’attestation (Bezeugung). D’ailleurs, le terme même de témoignage fait des apparitions dans le vocabulaire d’autres philosophes français « postheideggeriens » d’envergure, tels que Nabert, Lévinas, Henry, Lyotard, etc. Quels témoignages peuvent-ils donc permettre la « survie » de la pensée aujourd’hui, à l’épreuve de l’extrême difficulté (Ricoeur) ou de l’impossibilité (Derrida) qui touchent entre autres à la vie et à la mort, au mal et au pardon ? Telle est la question que nous aborderons dans ce cours. Cette approche contribuera, non seulement à l’étude plus attentive du rapprochement entre ces deux représentants de la philosophie française du XXe siècle, mais surtout à la tâche que notre époque nous impose : concevoir une nouvelle modalité de l’acte de philosopher.

Bibliographie

Paul RICOEUR

Oeuvres de Ricoeur
Temps et Récit, vol.1-3, Paris, Seuil, 1983-1985.
Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
La mémoire l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004.
Vivant jusqu’à la mort. Suivi de Fragments, Paris, Seuil, 2007.

Littérature secondaire

Jean Greisch, Paul Ricoeur, L’itinérance du sens, Grenoble, J.Millon, 2001.
Cahier L’Herne : Paul Ricoeur., éd. Par M.Revault D’Allones et F.Azouvi, Paris, L’Herne, 2004.
Esprit : La pensée Ricoeur, No.3-4, 2006.
Rue Descartes : Autour de Paul Ricoeur, hors série, Collège International de Philosophie, 2006.

Jacques DERRIDA

Oeuvres de Derrida
Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Galilée, 1987.
De l’esprit. Heidegger et la question, Paris, Galilée, 1987.
Apories, Paris, Galilée, 1996.
Demeure. Maurice Blanchot, Paris, Galilée, 1998.
Donner la mort, Paris, Galilée, 1999.
Foi et Savoir. Suivi de « Le siècle du pardon », Paris, Seuil,2003.
Apprendre à vivre enfin, Entretien avec J.Birnbaum, Paris, Galilée, 2005.
L’animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006.

Littérature secondaire
Geoffrey Bennigton, Jacques Derrida, Paris, Seuil, 1991.
Cahier l’Herne : Jacques Derrida, Paris, L’Herne, 2004.
Jacob Rogozinski, Faire part. Cryptes de Derrida, Paris, Ed.Léo-Scheer, 2005.
Marc Crépon et Frédéric Worms (éd.), Derrida, la tradition de la philosophie, Paris, Galilée, 2008.


2. Conférences :

Auto-éveil et témoignage – Philosopher autrement.
L’Ecole de Kyoto et la philosophie française postheideggerienne : une comparaison


1ère conférence : S’auto-éveiller au néant absolu. La naissance de la « philosophie japonaise » et ses enjeux

Le Mardi 25 Mai 2010, salle Dussane 16h-18h

2nde conférence : Auto-éveil et témoignage. Entrecroiser l’Ecole de Kyoto et la philosophie française dans le contexte « postheideggerien »

Le Jeudi 27 Mai 2010, Amphi rataud 17h-19h

Cette conférence sera suivie d’un Cocktail.

La « philosophie japonaise », si l’on peut appeler ainsi les méditations philosophiques de type occidental qui se développent depuis plus de 100 ans au Japon sous l’implusion de son occidentalisation accélérée, revêt une ambiguïté foncière. S’agit-il d’une tentative de « traduire » en termes de la philosophie occidentale la quintessence de plusieurs traditions « orientales » qui se sont coulées et conservées dans ce pays « extrême-oriental » ? Ou bien s’agit-il plutôt de l’expression marquante de l’effort infatigable en vue de l’assimilation totale de l’Occident comme si le pays du soleil levant était maintenant transformé en pays « extrême-occidental » ? Sa situation toujours oscillante entre ces deux extrémités constitue le principe à la fois des enjeux et des périls de la « philosophie japonaise ». Pourrait-on donc en dégager de possibles contributions originales à l’acte de philosopher, surtout d’aujourd’hui ? A titre d’une première approche de cette question, je voudrais tenter dans ces deux conférences de mettre au grand jour les deux fondateurs de « l’Ecole de Kyoto », le premier courant philosophique réputé original du Japon : ce sont Kitarô NISHIDA (1870-1945) et Hajime TANABE (1885-1962).

Ma démarche se divise en deux étapes. Lors de la première conférence, je me concentrerai sur l’objectif de retracer ce qu’on peut appeler le processus fondationnel de l’Ecole de Kyoto : l’établissement de la philosophie nishidienne du « lieu du néant absolu », la critique immédiate et radicale de cette pensée inouïe par son disciple Tanabe, la consolidation commençante de la position philosophique de celui-ci, enfin, à travers la modification profonde de l’idée du néant absolu dans la direction de « l’action absolument renversante ». Pour ne pas tomber dans la dichotomie simpliste entre la philosophie orientale du Néant et la philosophie occidentale de l’Être, il convient toutefois d’éviter de résumer leurs méditations trop hâtivement, par l’emblème du néant absolu. Il importe plutôt de voir comment cette idée centrale de l’Ecole de Kyoto se découvre et s’atteste elle-même. Ce « comment » est indiqué par la notion de « l’auto-éveil (jikaku) ». Que veut dire l’acte de s’auto-éveiller ? A quelle sorte de philosopher peut-il donner accès ? Tel sera le centre de mon interrogation.

Le but de la seconde conférence, dès lors, sera de rapprocher cette idée de l’auto-éveil avec celle du « témoignage », idée qui occupe une place essentielle chez d’importants philosophes français « postheideggeriens », tels que Lévinas, Ricoeur, Derrida, Lyotard, Henry, etc. Cette idée, qui se situe dans la lignée de « l’attestation (Bezeugung) » heideggerienne, désigne chez ces penseurs précisément « comment » ils redémarrent la philosophie, chacun à sa manière, souvent très singulière, tout en prenant au sérieux la détresse qu’indique la « fin de la philosophie » selon Heidegger. De l’autre côté, la philosophie « auto-éveillante » de l’Ecole de Kyoto s’est formée dans les relations étroites, à la fois sympathique et critique, avec la philosophie heideggerienne. A la lecture de Sein und Zeit, Nishida a considéré la Seinsverständnisen question comme « l’auto-éveil insuffisant ». Tanabe était un disciple de Heidegger dans son séjour à Marbourg des années 1922-24. Sa contribution au Festschrift du 70e anniversaire de son ancien maître était pourtant une critique frontale. Ce qui est intéressant, quant à leur reprise critique de la pensée heideggerienne, c’est qu’un certain nombre d’enjeux essentiels sont partagés de façon impressionnante entre les philosophes de l’Ecole de Kyoto et les penseurs français postheideggeriens, malgré toutes leurs différences. A partir du rapprochement systématique entre les deux manières inédites de philosopher, incarnées par l’auto-éveil et le témoignage, je voudrais dégager la signification philosophique de ce recoupement, en suivant tel ou tel problème spécifique : corporéité, socialité, historicité, langage, etc.

Bibliographie

NISHIDA Kitaro, Oeuvres complètes, vol. 24 (nouvelle édition), Tokyo, Iwanami, 2003-2009 (en japonais).
TANABE Hajime, Oeuvres complètes, vol.15, Tokyo, Chikuma, 1963-1964 (en japonais).
Nishida Kitaro, Essai sur le bien, trad. par Hitoshi Oshima, Bordeaux, Osiris, 1997. L’éveil à soi, trad. par Jacynthe Tremblay, Paris, Ed.CNRS, 2003.
Le lieu, trad. par Reiko Kobayashi, Bordeaux, Osiris, 2002.
Tanabe Hajime, « Todesdialektik », übers. Von Kôichi Tujimura et Hartmut Buchner, in Festschrift Martin Heidegger zum 70. Geburtstag, Pfullingen, 1959.
Philosophy as Metanoetics, trad. par Yoshinori Takeuchi, Valdo Viglielmo et James.W.Heisig, Berkeley, University of California Press, 1986.
Japan und Heidegger, Hrsg.von Hartmut Buchner, Freiburg, Jan Thorbecke Sigmaringen, 1989.
Die Philosophie der Kyôto-Schule. Text und Einführung, Hrsg. von Ryôshuke Ohashi, München, Alber, 1990.
Jacynthe Tremblay, Nishida Kitarô. Le jeu de l’individuel et de l’universel, Paris, CNRS, 2000.
Bernard Stevens, Topologie du néant. Une approche de l’école de Kyôto, Peeters, Louvain-Paris, 2000.
Jacynthe Tremblay, Introduction à la philosophie de Nishida, Paris, L’Harmattan, 2007. (avec une bibliographie exhaustive sur Nishida en langues occidentales). James W. Heisig, Les philosophes du néant, trad. de l’anglais par Bernard Stevens, Jacynthe Tremblay et Sylvain Isaac, Paris, Cerf, 2008.
Michel Dalissier, Anfractuosité et unification. La philosophie de Nishida Kitarô, Genève, Droz, 2009.
 Philosophie japonaise. Textes-clés, sous la direction de Michel Dalissier, Shin Nagai, et Yasuhiko Sugimura, Paris, J.Vrin, 2010 (à paraître).